vendredi 29 avril 2016

Biocalligramme d'Apollinaire

« Bergère ô tour Eiffel1 le troupeau des ponts2 bêle ce matin »
(extrait de « Zone », dans Alcools)



b
i
o
Ses
Amours :
Marie
Lou
Annie
« le mal-aimé »
épouse
Jacqueline
en 1918
Marie Laurencin,
maîtresse et peintre
Il crée Calligrammes 
durant la période
sous les drapeaux 1914-18
Blessure de guerre3
trépané : « la tête étoilée »
Il crée le mot surréaliste (1918)
SES AMIS écrivains :
Blaise CENDRARS suggère
de supprimer la ponctuation
dans le recueil Alcools (1913)
poèmes du XIXe et XXe S
CERCLE D'ARTISTES :
PICASSO CUBISME
Douanier Rousseau ART NAÏF
1916, est naturalisé
1900, monte à PARIS
Guillaume             Apollinaire
Étudie                                      Échoue
A NICE                                              Au BAC
Mère                                                        Père
Polonaise !                                                      italien ?
« Femme galante »                                             Inconnu, reconnu ?
Né En 1880                                                       Mort En 1918
A ROME !                                                                         A PARIS...
1Construite entre 1887 et 1889
2« Le pont Mirabeau » est le plus célèbre des poèmes du recueil Alcools

3On dit qu'il est mort pour la France mais c'est la grippe espagnole (pandémie entre 1918 et 1919, y compris à La Réunion, voir la BD La grippe coloniale) qui l'a achevé, sa blessure d'obus à la tête l'ayant affaibli.

La mandoline l'oeillet et le bambou, Guillaume Apollinaire

Objectif : Expliquer un calligramme (La mandoline l'oeillet et le bambou)
« idéogrammes lyriques » puis « calligramme » kallos (beau) et gramma (lettre) en grec

Les origines d'un calligramme : La dive bouteille de Rabelais (XVIe) est un texte écrit en forme de bouteille par celui qui créa les géants Pantagruel ou Gargantua.




Dans quel contexte Apollinaire écrivait-il au début du XXe siècle ? ? Les impressionnistes (peintres de l'époque) étaient fascinés par le Japon : pays où des gravures, les estampes, intégrent dans le dessin des idéogrammes ou calligraphies.
Comme prolongements orientalistes, vous pouvez citer un poète français de la même époque que « Guillaume » :
Paul Claudel Cent phrases pour éventails
Voici des citations de lui : « quelques mots débarrassés du harnais de la syntaxe et rejoints à travers le blanc par leur seule simultanéité » (préface de 1941)
« M est la mer, la montagne, la main, la mesure, l'âme, l'identité. Et si de toutes ces boucles et barres ajoutées nous formons un mot, quel idéogramme plus parfait que cœur, œil, sœur, même, soi, rêve, pied, toit, etc. ? Le mot chez nous qui signifie acquis par le mouvement est un ensemble obtenu par une succession. Il vibre encore, il émane encore dans cet arrêt du blanc qui le limite, l'allure de la main qui l'a tracé. »
« Le poète n'est plus seulement l'auteur, mais, comme le peintre, le spectateur et le critique de son oeuvre »



La mandoline l'oeillet et le bambou

Poème de la partie Etendards (après « La petite Auto ») guerre déjà déclarée (p. 198 du recueil éditions Pocket). L'étendard est un drapeau qui peut être associé à une patrie ou un emblème personnel. Justement ces 3 objets semblent être le blason, le symbole du poète.

Problématique possible pour tous les calligrammes :
La forme du poème-image coïncide-t-elle toujours avec le(ur) sens ?

Les mots clés de cette problématique sont la forme et le sens : surtout n'en séparez pas l'étude. Vos axes de lecture analytiques pourraient être :
Axe 1 :
lorsque forme et sens se font écho
Axe 2 :
désaccords (discordances) entre sens et forme
* 3 objets :
Le titre annonce 3 éléments disposés dans le sens de lecture classique : de gauche à droite et de haut en bas mais l'inclinaison du bambou forme un triangle qui peut nous faire revenir au début dans le sens des aiguilles d'une montre. (c'est aussi le sens de lecture du corps de la mandoline)


L'échelle n'est pas respectée et la fleur semble disproportionnée par rapport à l'instrument.
Le poème le plus simple à lire est celui de l'oeillet, disposé à la verticale. (ici l'image est la version manuscrite mais dans la version imprimée c'est le bambou qui est horizontal ; du même coup, l'oeillet est en diagonale)
Dans le texte on trouve en tête le mot oeillet et le mot odeurs justement dans le calice de la fleur.
Au contraire le bambou et la mandoline ne sont pas nommés à l'intérieur du calligramme. En revanche on apprend que le bambou est en fait une « pipe » (à opium?) avec son « fourneau » et ses « odeurs » (comme la fleur) et les 3 O dessinent les nœuds du bois aussi bien que 3 ronds de fumée.


Enfin, l'instrument de musique est perceptible par le sens de l'ouïe : «  LE SON TRAVERSE la vérité » et il y a un jeu de mots sur l'homonyme : « comme une âme délire » car l'âme est une partie d'un violon et on pense aussi à la lyre, symbole de la poésie.
* 3 symboles du poète :
le lyrisme est l'expression de soi en poésie mais aussi la musicalité, l'association de sensations et de sentiments.
Tout d'abord, dans le langage des fleurs, l'oeillet est le symbole des poètes. Le pronom personnel « je » nous invite aussi à lire le dessin comme un personnage. Dans la tête de la fleur, il y a le mot « cerveaux » et « subtiles » associés à l'esprit. Dans la tige de la fleur, on trouve des mots associés au corporel « nez » et « organes » mais cela se termine par une notion abstraite : « sagesse »


La mandoline fait penser à la poésie du Moyen Age accompagnée d'instruments à cordes et la pipe à opium aux habitudes de certains poètes « maudits » du XIXe comme Baudelaire qui d'ailleurs a écrit un sonnet sur la pipe.
Lorsqu'on lit les vers composant le bambou, on peut comprendre de multiples façons les ronds tels un « univers » ou les maillons de la « chaîne » « déliées » ou son contraire « lient ».


Le fourneau et le verbe « forgent » nous mettent au cœur de la fabrication d'un poème objet (cf le dieu forgeron Héphaïstos forgeant un « trône » d'or et créateur d'objets magiques)


Or l'objet mandoline nous force à changer notre lecture du poème dans le contexte de la guerre :
« batailles » « comme la balle traverse le corps ». L'instrument de musique devient symboliquement un corps (ou une tête) transpercé par la ligne du manche « la terre tremble ». ou encore un cœur malheureux : « COMME LA BALLE A TRAVERS LE CORPS
LE SON TRAVERSE la vérité car la RAISON

C'est ton art femme » à cause d'une femme...

En conclusion : Les dessins donnent un premier sens concret au poème mais peu à peu le lecteur déchiffre le texte comme une énigme : difficulté à lire car on ne sait dans quel sens prendre les mots et les phrases : plusieurs sens de lecture. Mais il y a, de plus, plusieurs sens aux mots du poème (polysémie). Ainsi précurseur des poètes et peintres surréalistes (Apollinaire a inventé le mot en 1918) il est également l'héritier des poètes symbolistes du XIXe siècle comme Mallarmé, avec ses poèmes si riches qu'ils en deviennent parfois impossibles à comprendre : « Aboli bibelot d'inanité sonore » : poème objet, poème sonore, fragile comme un oeillet se fanant, un son de mandoline retournant au silence ou un bambou parti en fumée...

mercredi 13 avril 2016

Les animaux malades de la Peste...récriture d'Oedipe-roi de Sophocle !

Les animaux malades de la Peste, Jean de La Fontaine (XVIIe)
(Cet extrait n'est que le début de la fable)

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur (1)
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, (2)
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
 On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ; (3)
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient ;
Plus d'amour, partant (4) plus de joie.
Le Lion (5) tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
 Pour nos péchés cette infortune ;
 Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.

Notes :

(1) "Se dit quelquefois de la colère de Dieu" (dict. de l'Académie 1694)
(2) dans la mythologie : Fleuve des Enfers, frontière du royaume des Morts. Allusion à la peste de Thèbes décrite par Sophocle dans Oedipe-Roi
 
(3) à chercher à se nourrir
 
(4) par conséquent
(5) le lion traditionnellement représente le roi.

Scène d'exposition de la pièce de Sophocle :

LE PRÊTRE
Eh bien ! Je parlerai. Ô souverain de mon pays, Œdipe, tu vois l’âge de tous ces suppliants à genoux devant tes autels. Les uns n’ont pas encore la force de voler bien loin, les autres sont accablés par la vieillesse ; je suis, moi, prêtre de Zeus ; ils forment, eux, un choix de jeunes gens. Tout le reste du peuple, pieusement paré, est à genoux, ou sur nos places, ou devant les deux temples consacrés à Pallas, ou encore près de la cendre prophétique d’lsménos. Tu le vois comme nous, Thèbes, prise dans la houle, n’est plus en état de tenir la tête au-dessus du flot meurtrier. La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie.
Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s’est abattue sur nous, fouaillant notre ville et vidant peu à peu la maison de Cadmos, cependant que le noir Enfer va s’enrichissant de nos plaintes, de nos sanglots. certes ni moi ni ces enfants, à genoux devant ton foyer, nous ne t’égalons aux dieux ; non, mais nous t’estimons le premier de tous les mortels dans les incidents de notre existence et les conjonctures créées par les dieux. Il t’a suffi d’entrer jadis dans cette ville de Cadmos pour la libérer du tribut qu’elle payait alors à l’horrible chanteuse.

Tu n’avais rien appris pourtant de la bouche d’aucun de nous, tu n’avais reçu aucune leçon : c’est par l’aide d’un dieu — chacun le dit, chacun le pense — que tu as su relever notre fortune. Eh bien ! Cette fois encore, puissant Œdipe aimé de tous ici, à tes pieds, nous t’implorons. Découvre pour nous un secours. Que la voix d’un dieu te l’enseigne ou qu’un mortel t’en instruise, n’importe !