Préambule = un album d'images d'art : pourquoi et comment commémorer
Chère femme, chers
parents
Tes deux dernières
lettres m'ont été données, hier soir aux tranchées, l'une était
datée du 1er et l'autre du 3. Contrairement à la mienne, votre
correspondance me parvient très régulièrement ; je vous ai
envoyé avant-hier ma photographie accompagnée d'un petit mot ;
aujourd'hui, je profite que j'ai un peu de temps pour vous écrire
plus longuement.
Nous avons quitté les
tranchées, hier soir, nous sommes revenus cantonner où nous étions
précédemment. Nous sommes tous bien fatigués ; la pluie
tombée ces jours derniers, avait rendu le séjour à la tranchée
pénible, et le passage dans les boyaux, très difficile. Quand donc
finira cette vie de misère ? Il faut vraiment avoir l'âme
chevillée dans le corps pour y résister.
Les Boches2
nous ont envoyés pas mal d'obus, hier soir, mais comme à
l'ordinaire, je me suis tiré indemne de cette pluie de fer. A
quelques mètres de moi, deux cuisiniers ont été blessés :
mon camarade Meunier a été blessé à la fesse mais il n'y a rien
de grave, à ce qu'il paraît.
On s'attend d'un instant
à l'autre, à marcher de l'avant. Ce sera sans doute très dur mais
tant pis, il faut qu'on en finisse ; il y a assez longtemps que
cela dure. Que cela ne vous tourmente pas trop, chers aimés. Dieu
qui jusqu'ici m'a protégé, grâce à vos bonnes prières, ne
m'oubliera pas au dernier moment.
Si je dois succomber, ma
dernière pensée sera pour vous ,et Dieu, je l'espère, m'accordera
le temps d'implorer son pardon.Les peines, les souffrances morales et
physiques endurées depuis 9 mois serviront au rachat de mes fautes.
Tes photographies et celles de Bébelle3,
jointes aux images du Sacré-Coeur, que je porte constamment sur moi,
me donneront le courage de tout supporter avec patience.
Pardonnez-moi, chère
femme et chers parents d'évoquer sur ma lettre d'aujourd'hui, de si
tristes pensées. Je comprends que j'ai tort, et que j'aurais mieux
fait de m'abstenir de vous les communiquer, mais je veux que vous
ayez la consolation, si je dois mourir sans vous revoir, de savoir
que je suis mort en chrétien et en homme de cœur.
J'apprends avec plaisir
que vous avez bien avancé l'ensemencement 4;
vous avez bien des maux, chers aimés, et avec tous vos maux, vous
êtes encore continuellement en soucis de Joseph et de moi.
Continuons d'être
courageux comme par le passé, ayons confiance en Dieu, il ne nous
abandonnera pas.
Continue, sans te
décourager, bien chère femme, à faire prier ma chère petite
Bébelle à mon intention. Dieu ne restera pas sourd aux prières de
ce cher petit ange et lui rendra son papa.
Je vous quitte, bien
chers aimés ; à bientôt, je l'espère, d'autres nouvelles.
Recevez mes amitiés bien sincères, avec tous mes meilleurs baisers.
François
J'ai reçu hier soir une
lettre de Joseph ; il est en ce moment-ci en Belgique ; il
me dit qu'il marche souvent la nuit avec son ambulance ; je ne
pense pas, malgré cela, qu'il soit bien exposé. Je lui ferai
réponse, dès que j'aurai le temps.
Fais part de mes amitiés
chez nous, à tout le monde. J'ai appris avec beaucoup de peine
qu'Eugénie était tombée malade de nouveau, c'est aussi bien
souvent son tour.
Faites part également de
mes amitiés aux parents de Laives5,
ils vont dire que je les oublie car depuis longtemps, je ne leur ai
pas écrit ; je leur donnerai de mes nouvelles dès que j'aurai
un petit moment.
François Laborier,
1ère classe, fut tué deux jours après, par « coups de feu
reçus au combat » le 9 mai 1915 à Sachez. C'est sa dernière
lettre.
1Ville
du pas-de Calais, comme Sachez.
2Mot
familier pour « Allemands »
3Surnom
de sa fille Isabelle, 2 ans.
4Ses
destinataires sont agriculteurs et doivent semer à cette saison.
5Ville
de Saöne et Loire