vendredi 26 septembre 2014

Question de corpus « ti pa ti pa » en créole, « mora mora » en malgache, petit à petit en français (Pour garder le rythme du maloya et de la semaine Kabar Kreol)




Préambule : même si le sujet du bac écrit (EAF) portera sans doute sur 4 extraits, il est bon de s'entraîner à faire la comparaison de deux textes seulement, pour améliorer progressivement une méthodologie mariant l'esprit de synthèse et la capacité à mettre en relation des œuvres diverses.

Le corpus proposé est le suivant :

Lettre de Mme De La Fayette à la marquise de Sévigné

A Paris, le 14 juillet 1673,
Voici ce que j’ai fait depuis que je ne vous ai écrit : j’ai eu deux accès de fièvre ; il y a six mois que je n’ai été purgée : on me purge une fois, on me purge deux ; le lendemain de la deuxième je me mets à table ; ah, ah ! j’ai mal au coeur, je ne veux point de potage ; mangez donc un peu de viande ; non, je n’en veux point ; mais vous mangerez du fruit ; je crois qu’oui ; eh bien, mangez-en donc ; je ne saurais, je mangerai tantôt ; que l’on m’ait ce soir un potage et un poulet ; voici le soir, voilà un potage et un poulet ; je n’en veux point ; je suis dégoûtée ; je m’en vais me coucher, j’aime mieux dormir que de manger. Je me couche, je me tourne, je me retourne, je n’ai point de mal, mais je n’ai point de sommeil aussi ; j’appelle, je prends un livre, je le referme ; le jour vient, je me lève, je vais à la fenêtre, 4 heures sonnent, 5 heures, 6 heures ; je me recouche, je m’endors jusqu’à 7 ; je me lève à 8, je me mets à table à 12 inutilement, comme la veille ; je me remets dans mon lit le soir inutilement, comme l’autre nuit. Êtes-vous malade ? nani [A] : êtes-vous plus faible ? nani. Je suis dans cet état trois jours et trois nuits ; je redors présentement ; mais je ne mange encore que par machine [B], comme les chevaux, en me frottant la bouche de vinaigre ; du reste, je me porte bien, et je n’ai pas même si mal à la tête. (...)
Je dois voir demain Mme de Vill... ; c’est une certaine ridicule, à qui M. d’Ambres a fait un enfant ; elle l’a plaidé, et a perdu son procès ; elle conte toutes les circonstances de son aventure ; il n’y a rien au monde de pareil ; elle prétend avoir été forcée ; (...) La Marans est une sainte ; il n’y a point de raillerie ; cela me paraît un miracle. La Bonnetot est dévote aussi, elle a ôté son œil de verre ; elle ne met plus de rouge, ni de boucles. Mme de Monaco ne fait pas de même ; elle me vint voir l’autre jour bien blanche [C] ; elle est favorite et engouée de cette Madame-ci, tout comme de l’autre ; cela est bizarre. (...) Mme la comtesse du Plessis va se marier ; elle a pensé acheter Fresnes. M. de La Rochefoucauld se porte très bien ; il vous fait mille et mille compliments et à Corbinelli. Voici une question entre deux maximes :
On pardonne les infidélités ; mais on ne les oublie point. 

On oublie les infidélités ; mais on ne les pardonne point.
« Aimez-vous mieux avoir fait une infidélité à votre amant, que vous aimez pourtant toujours ; ou qu’il vous en ait fait une, et qu’il vous aime aussi toujours ? » On n’entend pas par infidélité, avoir quitté pour un autre ; mais avoir fait une faute considérable. Adieu, je suis bien en train de jaser ; voilà ce que c’est que de ne point manger et ne point dormir. J’embrasse Mme de Grignan et toutes ses perfections.
Notes : A. non. B. par artifice. C. bien poudrée.

Lettre de Mme de Sévigné à sa fille, à Coulanges, le 15 décembre 1670

« Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus digne d’envie : enfin une chose dont on ne trouve qu’une telle dans les siècles passés, encore cet exemple n’est-il pas juste ; une chose que l’on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon ?) ; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d’Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-la : je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix ; je vous le donne en cent.
Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner ; c’est Mme de la Vallière. - Point du tout, Madame. - C’est donc Mlle de Retz ? - Point du tout, vous êtes bien provinciale. - Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c’est Mlle Colbert ? - Encore moins. - C’est assurément Mlle de Créquy ? - Vous n’y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de..., Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle1, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle ; Mademoiselle, fille de feu Monsieur ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.
Voilà un beau sujet de discourir.

1Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle.

Correction de la question de corpus sur deux lettres authentiques du XVIIème siècle


3 problématiques ont été proposées : (au choix bien sûr)

a) Comment la lettre permet-elle d'ouvrir un espace de liberté d'expression ?
b) Quelle est la place du destinataire dans ces lettres ?
c) Peut-on dire que ces lettres sont seulement des monologues ou recréent-elles un dialogue ?

Proposition d'introduction pour le sujet a) :

Si les romans épistolaires deviennent un phénomène de mode au XVIIIème siècle, ils le doivent en grande partie au succès des lettres authentiques de Mme de Sévigné, recopiées et lues au XVIIème, publiées dès le début du siècle des Lumières comme la gazette de la Cour.
Ainsi étudierons nous un corpus constitué d'une lettre datée du 15 décembre 1670, écrite par la célèbre épistolière à sa fille Mme de Grignan, et un second extrait de sa correspondance avec Mme De La Fayette, lettre du 14 juillet 1673 où cette fois elle tient le rôle de destinataire. Comment ces lettres permettent-elles d'ouvrir un espace de liberté d'expression ?
(l'annonce du plan est facultative pour la question de corpus)

Proposition de paragraphe avec 2 arguments et 3 citations pour le sujet a) :

Lorsque Mme de La Fayette décrit son quotidien avec « deux accès de fièvre » ou le détail scatologique « on me purge », elle prend la liberté de faire rentrer son destinataire, la marquise de Sévigné dans une intimité à la limite de la bienséance. Par cette lettre assez crue et précise dans les détails de toutes ses actions exprimées par une énumération de verbes au présent, nous apprenons que leur lien amical et leur féminité rendent possibles des descriptions qui seraient proscrites en société : « comme les chevaux, en me frottant la bouche avec du vinaigre » est une comparaison avilissante impensable à la cour.

Proposition de paragraphe avec 1 argument et 3 citations pour le sujet c) :

Dans un véritable dialogue, aucun auditoire n'accepterait d'attendre aussi longtemps que Mme de Sévigné veuille bien révéler l'identité des futurs mariés. « devinez qui ? » est une injonction interrogative qui s'adresse à sa fille mais c'est surtout une question rhétorique qui ralentit le moment de la révélation finale « Mademoiselle » avec un jeu sur la présence ou non de la particule « Mademoiselle de ... » permettant de différencier le titre de noblesse commun et le surnom de la duchesse de Montpensier.

Proposition de développement en 3 parties pour le sujet b) :

Tout d'abord, nous verrons que le destinataire est un confident de l'épistolière : le temps est rythmé par leurs échanges et le pronom « vous » apparaît dès la première ligne de chaque lettre :« depuis que je ne vous ai écrit » ou « je m'en vais vous mander » renoue le contact entre les amies ou entre mère et fille. Le choix du présent de narration par Mme de La Fayette pour énumérer toutes ses actions passées : « je me couche, je me tourne, je me retourne » les rapproche. Dans le même souci de garder le contact, Mme de Sévigné fait les questions et les réponses d'un dialogue fictif : « jetez-vous votre langue aux chiens ? » Sa fille ne peut répondre en direct et nécessairement donnera sa langue au chat, ici aux chiens, pour cette chasse au scoop.

Ainsi le destinataire peut aussi être réduit à un prétexte à la conversation et au bavardage : « Adieu, je suis bien en train de jaser. » avoue Mme de Lafayette. De même Mme de Sévigné conclut par « Voilà un beau sujet de discourir. » Elle ne se prive pas non plus pour insérer une forme de dialogue théâtral avec son entourage « Mme de Coulanges » puisqu'en réalité sa fille est réduite au silence, le temps qu'elle reçoive la lettre et puisse à son tour répondre par écrit.

D'ailleurs, la place du destinataire est explicitement dans l'avenir. A la fin de sa lettre, Mme de La Fayette demande conseil à la marquise de Sévigné :
« Voici une question entre deux maximes ». le destinataire devra apporter une critique littéraire. La forme épistolaire tisse des liens d'esprit entre les deux femmes et leurs amis communs « M. De La Rochefoucauld se porte bien ». De la même façon Mme de Sévigné attend un discours de sa fille en retour du « beau sujet » qu'elle vient de lui révéler : le mariage de la Grande Mademoiselle. Par conséquent, la dernière partie de ces lettres porte en germe la future réponse de son destinataire et la politesse ou l'affection reprennent leurs droits : « J'embrasse Mme de Grignan et toutes ses perfections ».

proposition de conclusion pour la question c)

Si la forme classique de la lettre est nécessairement un monologue qui appelle une réponse différée, le talent et la liberté de ces deux femmes du XVIIème siècle permettent au genre épistolaire de gagner en vivacité : dialogues théâtralisés, imaginaires, questions rhétoriques ou réelles font de leur correspondance une vraie œuvre littéraire presque interactive à la manière de nos modes de communication du XXIème siècle.