samedi 12 avril 2014

Centenaire de la Grande Guerre : La dernière lettre de mon arrière-grand père

Préambule = un album d'images d'art : pourquoi et comment commémorer


Camblain-L'Abbé1, 7 mai 1915

Chère femme, chers parents

Tes deux dernières lettres m'ont été données, hier soir aux tranchées, l'une était datée du 1er et l'autre du 3. Contrairement à la mienne, votre correspondance me parvient très régulièrement ; je vous ai envoyé avant-hier ma photographie accompagnée d'un petit mot ; aujourd'hui, je profite que j'ai un peu de temps pour vous écrire plus longuement.
Nous avons quitté les tranchées, hier soir, nous sommes revenus cantonner où nous étions précédemment. Nous sommes tous bien fatigués ; la pluie tombée ces jours derniers, avait rendu le séjour à la tranchée pénible, et le passage dans les boyaux, très difficile. Quand donc finira cette vie de misère ? Il faut vraiment avoir l'âme chevillée dans le corps pour y résister.
Les Boches2 nous ont envoyés pas mal d'obus, hier soir, mais comme à l'ordinaire, je me suis tiré indemne de cette pluie de fer. A quelques mètres de moi, deux cuisiniers ont été blessés : mon camarade Meunier a été blessé à la fesse mais il n'y a rien de grave, à ce qu'il paraît.
On s'attend d'un instant à l'autre, à marcher de l'avant. Ce sera sans doute très dur mais tant pis, il faut qu'on en finisse ; il y a assez longtemps que cela dure. Que cela ne vous tourmente pas trop, chers aimés. Dieu qui jusqu'ici m'a protégé, grâce à vos bonnes prières, ne m'oubliera pas au dernier moment.
Si je dois succomber, ma dernière pensée sera pour vous ,et Dieu, je l'espère, m'accordera le temps d'implorer son pardon.Les peines, les souffrances morales et physiques endurées depuis 9 mois serviront au rachat de mes fautes. Tes photographies et celles de Bébelle3, jointes aux images du Sacré-Coeur, que je porte constamment sur moi, me donneront le courage de tout supporter avec patience.
Pardonnez-moi, chère femme et chers parents d'évoquer sur ma lettre d'aujourd'hui, de si tristes pensées. Je comprends que j'ai tort, et que j'aurais mieux fait de m'abstenir de vous les communiquer, mais je veux que vous ayez la consolation, si je dois mourir sans vous revoir, de savoir que je suis mort en chrétien et en homme de cœur.
J'apprends avec plaisir que vous avez bien avancé l'ensemencement 4; vous avez bien des maux, chers aimés, et avec tous vos maux, vous êtes encore continuellement en soucis de Joseph et de moi.
Continuons d'être courageux comme par le passé, ayons confiance en Dieu, il ne nous abandonnera pas.
Continue, sans te décourager, bien chère femme, à faire prier ma chère petite Bébelle à mon intention. Dieu ne restera pas sourd aux prières de ce cher petit ange et lui rendra son papa.
Je vous quitte, bien chers aimés ; à bientôt, je l'espère, d'autres nouvelles. Recevez mes amitiés bien sincères, avec tous mes meilleurs baisers.
François

J'ai reçu hier soir une lettre de Joseph ; il est en ce moment-ci en Belgique ; il me dit qu'il marche souvent la nuit avec son ambulance ; je ne pense pas, malgré cela, qu'il soit bien exposé. Je lui ferai réponse, dès que j'aurai le temps.
Fais part de mes amitiés chez nous, à tout le monde. J'ai appris avec beaucoup de peine qu'Eugénie était tombée malade de nouveau, c'est aussi bien souvent son tour.
Faites part également de mes amitiés aux parents de Laives5, ils vont dire que je les oublie car depuis longtemps, je ne leur ai pas écrit ; je leur donnerai de mes nouvelles dès que j'aurai un petit moment.

François Laborier, 1ère classe, fut tué deux jours après, par « coups de feu reçus au combat » le 9 mai 1915 à Sachez. C'est sa dernière lettre.

1Ville du pas-de Calais, comme Sachez.
2Mot familier pour « Allemands »
3Surnom de sa fille Isabelle, 2 ans.
4Ses destinataires sont agriculteurs et doivent semer à cette saison.
5Ville de Saöne et Loire

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